Mais qui voilà !

Sans vouloir totalement admettre que les changements étaient positifs, Asteras devait bien admettre que l'astéroïde avait évolué vers quelque chose de mieux en son absence. L'ambiance lui paraissait nettement plus sereine, sans doute parce que toutes les recherches troubles avaient disparu depuis que Sérû s'y était attelé.
En passant, Asteras prenait bien soin à ne pas être repéré, ce qui est difficile quand on est bâti comme lui, qu'on porte des vêtements plutôt voyants et qu'on a dans le dos une épée soigneusement entourée d'étoffe. Mais cela ne faisait rien, de toute façon, tout le monde semblait particulièrement occupé.

Arrivant au centre de recherches, qui trônait dans son coin de la ville, Asteras ressentit comme un pincement au coeur. Façon de parler, bien entendu. Il s'arrêta là, hésitant soudain à pousser plus loin. Mais après tout, il ne risquait rien. Encore que cette idée-là commençait à s'écarter. Les habitants de la station se comportaient de manière étrange, ils semblaient éviter à tout prix de regarder autre chose que leurs pieds, ce qui n'était ni agréable pour eux ni réconfortant pour le cyborg. Promenant son regard aux alentours, Asteras cherchait à discerner ce qui pouvait provoquer chez eux un tel comportement. Rien d'évident, à première vue.
Mais au fur et à mesure de sa promenade dans la rue, ce qui était au départ un sentiment confus devint une certitude. Et c'est à nouveau en levant les yeux que le cyborg comprit. Un bâtiment, comme incrusté dans la paroi de la station, se dressait à l'opposé de sa position. Et tout le cérémonial qui se constituait autour de ce bâtiment ne pouvait que faire penser au centre du pouvoir local. Le sang d'Asteras ne fit qu'un tour. Sérû et lui avaient mis leurs vies en danger pour détruire ceux qui tyrannisaient les habitants de l'astéroïde, pour offrir à ceux-ci la chance de vivre tranquillement, normalement. Et il n'était pas question qu'un Caligula de carrefour quelconque vienne rompre ce voeu pieux.

Quelques minutes après, Asteras était à pied d'oeuvre. En observant les mouvements de gardes fort peu amènes aux alentours, il put se glisser discrètement dans la bâtisse, car certains lui ressemblaient étrangement. Son malaise augmenta d'autant, et il se promit de tout mettre au clair dès qu'il le pourrait.
Le bâtiment s'enfonçait dans les entrailles de l'astéroïde, palais souterrain à l'ambiance plus glauque et morbide que printanière. Et alors qu'au-dehors, tout n'était qu'ors et paillettes, passé un certain stade, on commençait à voir que cela avait été fait à la va-vite. Asteras le nota consciencieusement dans un recoin de son esprit : cela voulait dire que ce serait plus facile à détruire...
Sans crier gare, deux humains serrés dans des uniformes mal conçus sortirent de l'ombre, devant le petit groupe. Les trois types qu'Asteras accompagnaient s'arrêtèrent net, dans un ensemble parfait, et celui-ci ne put que faire de même. Les deux humains, visiblement des officiers supérieurs de par leurs décorations, s'approchèrent de lui, l'un d'eux affichant un air rien moins qu'heureux.
- T'es qui, toi...
Il sortit de sa poche une main qui tenait non pas une arme mais un objet à la vision trop familière à Asteras...Une sorte de télécommande. De celles qui désactivaient les cyborgs. L'homme ricana, avant de la pointer sur lui. Le cyborg, décidé à jouer la comédie, afficha un air inquiet.
- U...Unité D 4871 monsieur. Je ne comprends pas !
L'homme éclata de rire.
- Alors t'es un vieux machin ? Mais d'où tu sors...La série D n'est plus en production, on n'a que des F et plus ici !
Il poussa sur le bouton fatal, et Asteras se laissa tomber, jouant le jeu jusqu'au bout. Bingo, car l'autre officier déserra les dents.
- Bizarre...Tu trouves pas ?
- Mouais. Ce qui m'ennuie le plus, pour l'instant, c'est de savoir comment on va amener ça au chef.
- Et si on le lui amenait, pour interrogatoire ?
- ...Pas bête. C'est encore ce qui nous évitera le plus d'ennuis.
Intérieurement, Asteras jubilait. Ils faisaient exactement ce qu'il voulait ! Il se laissa porter, et remarqua que ces bonhommes étaient bien sûrs d'eux...A tel point qu'ils n'avaient même pas enlevé son épée de son dos. Beaucoup d'erreurs en peu de temps. Tout cela ne ferait que rendre sa tâche plus facile.

Peu de temps après, il fut jeté sans ménagement dans une cellule, cellule qui fut refermée. Entendant que l'officier appuyait sur un autre bouton, Asteras se releva lentement, comme s'il éprouvait mille difficultés à le faire. Dans son regard transparut un peu de sa haine, quelque chose qui cette fois n'était absolument pas feint. Ouvrant les yeux, il vit que la salle était étrange. Tout était très lumineux, comme si on tenait à l'éblouir. Et soudain, il sentit comme un coup de poing violent au ventre. Cherchant d'où celui-ci provenait, il ne put rien distinguer. Et une voix tomba du plafond, froide et presque sardonique.
- Une unité D qui revient au bercail...Comme c'est mignon ! Nous n'avions aucun spécimen à l'énergie infinie à étudier, tu nous facilites la tâche, vraiment. J'espère que ta prison te plaira...
Le dialogue en resta là. Asteras se sentait piégé, et humilié en même temps. Aussi décida-t-il de foncer, sans plus se retenir.
Il prépara une Big Bang Attack plutôt forte, et la lança contre le mur. Mais là où, normalement, une explosion aurait suivi son geste, rien ne se fit jour, à part un léger bruit de succion. Fixant l'endroit où il avait attaqué, Asteras resta interdit. Le mur n'avait rien ! Et c'est ce moment que la voix choisit pour revenir.
- Cette cellule a été prévue pour les cyborgs dans ton genre...Les murs absorberont toute tes attaques énergétiques !
Asteras resta debout, sans rien dire, sans rien faire. La voix reprit.
- Pourquoi es-tu revenu, D 4871 ? Que viens-tu faire ici ?
La rage, qu'il avait essayé de contenir, envahit littéralement Asteras. Il regarda au-dessus de lui, localisant le haut-parleur qui émettait, derrière la clarté évanescente du "champ" absorbant l'énergie. Le cyborg se saisit lentement de la poignée de l'épée qui était solidement attachée dans son dos, et d'un mouvement rapide du poignet, fit bouger les étoffes qui l'enserraient. Comme par une illusion d'optique, celles-ci retombèrent en une traîne qui s'entoura autour de son poignet. Sa main droite serrant à s'en faire blanchir les phalanes la poignée, Asteras y ajouta la main gauche, et sauta soudain. Sa frappe, chirurgicale, détruisit le haut-parleur dans un grand bruit : il y avait mis toute sa puissance.

Sautant dans la brèche créée juste après avoir atterri, Asteras laissa ses sens en éveil maximal. Il retrouvait l'adrénaline pure, la sensation d'être à la fois chasseur et proie. Et à vrai dire, ça n'était pas pour lui déplaire...

Le combat faisait rage dans le palais souterrain. Visiblement, les réactions d'Asteras étaient totalement imprévues pour ces racailles qui occupaient la place, et cela ne faisait que le rassurer.
Il progressa dans des couloirs labyrinthiques, sans idée préconçue sur sa destination. L'important, c'était d'avancer, d'explorer cet endroit. Quelques gardes d'un niveau bien faible s'opposaient, mais ils n'étaient pas de taille et étaient mis K.O avant de comprendre ce qui leur arrivait.

Soudain, les capteurs du cyborg s'affolèrent, et il crut à une défaillance. Au dernier moment, alors qu'un poing immense s'abattait sur lui, Asteras sauta de côté, mû par un réflexe inexplicable. Il put voir les dégâts causés par l'attaque, et son regard remonta au monstre auquel était attaché le bras. "Attaché" convenait, puisqu'il s'agissait d'un corps d'homme, aux épaules duquel des sortes d'entonnoirs menaient vers deux énormes prothèses mécaniques. C'était l'un de ces bras artificiels qui avait frappé auparavant. Asteras ricana.
- Ha. C'est un concours d'être de plus en plus moches ?
L'autre ne répondit pas, se remettant en position. Tout au plus émit-il un grognement, qui ne laissait rien présager de bon. Les adversaires s'observèrent, et au bout de quelques secondes, l'homme parla d'une voix étrange, mi mécanique mi humaine.
- Tout unité défaillante doit être éliminée pour la sauvegarde du programme nouvelle génération !
Asteras esquiva une nouvelle fois l'attaque de son adversaire, tout en souplesse. Il restait méfiant, car visiblement ce type-là n'avait pas montré toutes ses ressources. Qui plus est, il ne savait pas grand chose sur les effets de la salle dans laquelle il venait d'être enfermé. Aussi décida-t-il de gagner du temps.
- On peut s'arranger, non ? C'est quoi ton p'tit nom ?
L'autre sembla surpris, comme si cette question n'avait jamais été envisagée de sa vie. Son air interdit lui passa vite malgré tout, et il se redressa.
- Je suis le cyborg El 31. J'ai déjà éliminé trente-deux défects. Mais assez parlé.
Une chose était sûre : ce cyborg était comme lui, au fond, fait à partir d'un humain. Mais la conception en était radicalement différente par la suite. Il valait donc mieux supposer qu'il disposait lui aussi d'énergie infinie et que jouer là-dessus serait une mauvaise idée. Pendant qu'Asteras murissait une stratégie, El 31 levait les bras, dans une position qui ressemblait à une prière. Mais bien sûr, cela n'avait pas grand chose à voir. De ses bras s'élevaient de petites étincelles, comme autant de menaces latentes. Asteras se mit en garde, juste à temps pour encaisser le plus gros d'un choc électrique qui semblait sortir de nulle part.

A peine s'était-il relevé qu'El 31 était sur lui, frappant de tous côtés. Même avec ses aptitudes, Asteras avait du mal à esquiver. Acculé, bientôt dos au mur, il décida de faire parler la foudre. Il se jeta quelques mètres en arrière, sortit son épée de sa gaine de tissu, et enchaîna à grande vitesse les coups, qui pouvaient être mortels s'ils touchaient les bons
points. Mais le cyborg éliminateur ne s'en laissait pas compter, bien que cette fois-ci, c'était lui qui reculait.
Alors qu'il se retrouvait dans une mauvaise passe, El 31 s'arrêta de parer, ouvrant grand sa garde pour laisser
passer un coup d'épée. Asteras s'arrêta juste avant de frapper, et recula : il avait vu les mêmes étincelles
qu'avant localisées cette fois-ci sur le torse de son adversaire. Un petit rictus se dessina sur son visage.
- Bien essayé, mais c'est raté...
Le cyborg éliminateur se jeta sur lui, comme si cette petite phrase l'avait mis hors de lui. Asteras se propulsa de toutes ses forces pour se retrouver au-dessus de son adversaire, effectuant un salto, et retomba derrière, préparant une boule d'énergie. El 31 s'arrêta net, et explosa de rire.
- Quoi, une petite décharge d'énergie, c'est tout ?
Le sourire d'Asteras resta là, et il se retourna, tenant à bout de bras une boule qui avait grossi à une vitesse folle.
- Big Bang Attack !
La surprise totale se lisait dans les yeux de son adversaire, qui reçut la boule bleue de plein fouet. El 31 fut projeté contre un mur, en piteux état. Asteras s'en approcha, et pointa son épée sur la gorge du cyborg éliminateur.
- Tu es hors service. Si tu tiens à la vie, tu vas répondre gentiment à mes questions. Qui est le chef ? Pourquoi cet
astéroïde ? Et quels sont vos plans ?
El 31 semblait en état de choc. Asteras enfonça lentement la pointe de son épée, qui était encore recouverte d'étoffe, dans la gorge de son adversaire, faisant perler quelques gouttes de sang.
- Tu es humain, tu ne peux pas vouloir crever pour un autre ! L'égoïsme, c'est la seule constante chez les humains !
Le cyborg éliminateur lui jeta un regard noir, puis sembla peser le pour et le contre de ce qu'il allait devoir faire. Pour se décider à céder. Il s'exprima d'une voix monocorde et lasse.
- Cet astéroïde a été choisi car les chefs voulaient récupèrer les techniques du Ruban Rouge. Ils projettent d'utiliser les cyborgs comme source d'un pouvoir quasi infini...Du moins, c'est ce que j'ai compris.
Asteras raffermit sa prise sur la poignée de son épée.
- Qui c'est, "ils" ?
Pas de réponse d'El 31. Le savait-il seulement ? Asteras en doutait. Soudain, les bras du cyborg éliminateur se mirent à bouger tous seuls, comme mûs par une volonté extérieure. Ils remuaient, bizarrement, et se mirent à serrer la gorge de leur possesseur. Réagissant immédiatement, Asteras brandit son épée et coupa net au niveau des épaules, séparant les bras du corps d'El 31. Puis il se recula d'un pas, avant d'abattre à nouveau sa lame sur les deux moignons, les détruisant pour le compte. L'ancien cyborg éliminateur semblait sous le choc, et Asteras haussa les épaules.
- J'veux pas savoir pourquoi tu les servais. Et je sais que c'est moche de pas avoir de bras...Mais c'est la vie. Me remercie pas de te l'avoir sauvée. Casse pas la tête.
Et il s'enfonça plus profondément dans la forteresse, laissant son adversaire totalement désemparé.